Les Âmes du Purgatoire (Le livre de Poche-Classique N°14502)

 

Il s'agit d'un récit : plus exactement d'une Nouvelle.

Ce sous genre se définit ainsi :

- œuvre courte parce que dense

- les personnages fonctionnent comme des personnes ayant existé : (cf. p14 "vérité incontestable" et présence de vestiges : le tombeau de Marana et l'inscription

- de nombreux noms propres de lieux et de personnes

- événements exceptionnels (dus à un être exceptionnel)

 

La nouvelle est proche du "scoop", du fait-divers , du témoignage.

Trois adjectifs la caractérisent : DENSITÉ, VÉRITÉ, INTÉRÊT

On retrouvera ces trois principes tout au long de l'étude

 

I) LA NOUVELLE EST UN RÉCIT : ÉTUDE DU RÉCIT

Le titre de cette nouvelle annonce un contexte religieux.

Le narrateur apparaît dans un prologue ( jusqu'à page 16) : "cf. je" pour annoncer son intention : raconter la vie de Don Juan de Marana, ""son" héros" avec une garantie de vérité, et en ne mordant pas sur la vie d'un autre Don Juan sévillan : Don Juan de Tenorio ( celui de Molière)

Un libertin athée et débauché a réellement existé à Séville

Le préambule a été écrit après l'histoire : cf. "j'ai tâché de faire"(p 14)

 

A partir de la fin de ce prologue, le récit proprement dit commence : la focalisation est externe : 3 e personne. Mais le narrateur reste présent et même intervient dans le récit :

- Don Juan est son "héros"(p 16) : il exerce sur lui une émotion contradictoire : de l'attirance et de la répulsion : Don Juan est un tabou. Le narrateur- auteur parle de lui, s'intéresse à lui mais avec un vocabulaire toujours dévalorisant et subjectif : débauché, libertin, pervers...

- A propos de don García, le narrateur parle de "rôle détestable qu'il avait joué" ( p 61)

- Autre exemple, p47, Don Juan tendit à la pauvre fille l'infâme billet...

- Parfois il s'adresse directement au lecteur créant une complicité avec lui, comme un conteur : "notre héros" (p 40) ou "il se disait, l'insensé ! " ( p61)

 

Les faits dits réels se situent au 16 e siècle et en Espagne ( cf. les événements historiques) (p16) et la forte couleur locale (présence de noms propres et multiples effet de vérité).

Il s'agit de l'histoire d'une vie : celle de Don Juan, racontée de sa naissance à sa mort. Don Juan meurt jeune (30/35 ?). (Les indicateurs de durée sont imprécis : "quelques temps" "depuis un mois à peu près ( p32) mais la nouvelle est chronologique.

Une situation initiale raconte la naissance désirée du personnage et ses premières 18 années de jeune homme vertueux et plein d'avenir.

Le déséquilibre (début des événements) est provoqué par la rencontre avec Don GARCIA NAVARRO (P 22)

On passe du "bon" enfant au "mauvais " enfant. La nouvelle raconte cette métamorphose.

Un changement de lieu souligne également cette rupture : De Séville à Salamanque ( ville universitaire réputée).

Avec une vitesse narrative à peu près régulière, la corruption de Don Juan va être racontée à travers de multiples épisodes de plus en plus impardonnables.

C'est une descente aux enfers.

Le " mal" a un visage

- femme

- alcool "orgies" (p 62)

- repas épicés (p 26) "toute chose provoquant la soif"

- vie nocturne

- délinquance ( p 27)

- duel et meurtre

- trahison ( du legs d'argent) (p 55)

- blasphème et jurons ( p 53 )

- échangisme ( p 44)

- défi à Dieu (p63) ( apogée de l'horreur)

Ces épisodes se déroulent dans des lieux différents : Don Juan fuit l'Espagne, part pour les Flandres. (pas de récits de voyage cependant, car ils freineraient la succession des délits.).

Ils s'enchaînent rapidement : l'action, les exploits du "maître et du valet" rappellent les romans picaresques et les romans d'aventure.

 

Les énoncés narratifs sont majoritaires. Les actions s'inscrivent dans un décor hispanique très pittoresque qui donne à la nouvelle sa couleur locale. ( sérénade, duel, religion...

Quant aux énoncés descriptifs, ils apparaissent pour décrire les rêves et le tableau de Morales "les Âmes du purgatoire" qui a donné le titre à cette nouvelle.

Un dénouement :

A partir de l'épisode de la chute "évanoui sur le pavé" (p 74) c'est le repentir : ce Don Juan redevient un saint homme, se convertit. Il retrouve son état de sainteté initial. Il obtient le pardon.

Le récit de sa vie couvre alors plus de 10 ans ( p82) avec une accélération narrative symétrique à celle du début.

 

II) L'INTENTION 2 : COMMUNIQUER AU LECTEUR UNE DOUBLE ÉMOTION : ADMIRATION POUR UN HÉROS ET TERREUR FACE À CE MONSTRE .

L'admiration, la fascination n'est pas due au physique du personnage : aucune allusion à sa virilité, à ses charmes. Il est fait allusion à la "richesse de son costume" (p 62) et à son aspect éblouissant.

A l'inverse apparaît un court portrait physique de Don García ( p 22)" homme large d'épaules, bien découplé, le teint hâlé, l'œil fier et la bouche méprisante... pourpoint râpé et manteau troué... chaîne d'or"

L'émotion ("l'émerveillement") est directement donnée par le portrait en action du personnage ( on peut aisément parler de caractère) :

- un homme bien né, promis à un grand destin, il a une bonne éducation : sa mère lui inculque la dévotion, son père, la bravoure. Il est instruit, il est riche, il est fils d'une famille illustre (aristocrate espagnol). Il porte l'épée de chevalier " muni d'armes spirituelles et temporelles" p 20

L'émotion ("la terreur") est également donnée par le portrait en action du personnage :

C'est un homme sans foi ni loi, influencé par son ami Garcia qu'il considère comme un frère "p 61) et qui trouble l'ordre social et religieux. C'est un danger public : il menace tous les hommes ( cf. la liste des maris trompés : (p 63) ; il est dangereux pour toutes les femmes. Il "pervertissait la jeunesse andalouse" (p62) qui le prenait pour un "modèle".

"A chaque parole de Garcia le diable entrait plus en avant dans le cœur de Don Juan" (p 45)

Il avoue croire possible l'existence d'un Dieu ( p 60) et "envie l'indifférence" de Don Garcia

Même dans sa quête des femmes il n'agit pas par amour : il manifeste un comportement de chasseur (p 64 et 66) "tel était à peu près le regret du chasseur qui poursuit un cerf... tout à coup l'animal tombe".

 

III) INTENTION 3 : MONTRER LA VICTOIRE DU BIEN SUR LE MAL : L'incarnation de Satan

En réalité Mérimée nous conte deux vies de libertin " épicurien" (p 72) :

García - dont le récit de la vie fonctionne en parallèle - meurt sans se repentir et sert de point de comparaison. Il incarne le DIABLE. "il a "le diable au corps" dit l'étudiant p 24. Don Juan passe une période de sa vie sous son influence. Il initie Don Juan ( p26) qui en est tout à fait conscient : "Qu'étais-je avant de le connaître ?" (p63). Il est proche du Don Juan de Molière qui lance un perpétuel défi à Dieu et ne se convertit pas.

A la page 22 son apparition brutale est déjà un signe surnaturel : il surgit comme par miracle... à la page 20, l'étudiant parlait à voix basse comme si Don García pouvait entendre...

 

Le 19 e siècle est un siècle où la métaphysique (le fantastique, les cultes, les rites magiques (tables tournantes...)les prémonitions) fait le contrepoids d'un souci de réalité (voir le courant littéraire appelé RÉALISME dont les représentants sont Balzac et Zola) : la nouvelle de Mérimée est, en cela, très représentative de ce siècle : elle associe deux courants littéraires du siècle : le Fantastique et le Réalisme.

Le surnaturel est présent par des signes inquiétants tout au long de la nouvelle : les rêves, les prémonitions liées au tableau.

A la p 17, le tableau de Morales est sauvé "par miracle" des flammes d'un incendie.

A la page 72 il assiste à son enterrement

A la page 73 apparition surnaturelle de Garcia ( vision morbide)

 

La portée morale de la nouvelle est une évidence : c'est le triomphe du Bien sur le Mal. La littérature au 19 e siècle est morale et défend les valeurs de la bourgeoisie et de L'Église.

 

Finalement c'est Don Juan qui parle de lui avec vérité : "je ne suis pas un esprit fort" : il semble avoir été pris par une sorte de magie, de sorcellerie exercée par Satan-Garcia.

Autre lecture de l'œuvre

On peut voir en Don Juan le "moi" tiraillé par le "ça".

Le "surmoi" ramène Don Juan dans une vie conforme à la morale.